On prête à Richelieu (il est vrai que l'on ne prête qu'aux riches) cette formule lapidaire qui voudrait qu'à partir de quelques éléments patiemment rassemblés et interprétés, on puisse transformer en coupable n'importe quel innocent.
C'est ce qu'ont voulu démontrer vendredi matin les avocats des deux seuls prévenus traduits devant le tribunal de Chambéry dans cette ubuesque affaire de présumé piratage informatique à la mairie d'Aix-les-Bains. Et, en toute impartialité, on peut dire que leur démonstration a été d'une rare clarté. Mais on se gardera bien de prétendre, tant il s'en faut de beaucoup, que cette démonstration aura emporté la conviction des juges.
Curieux
procès que celui qui s’est déroulé ce vendredi matin devant le tribunal
correctionnel de Chambéry. A l’ordre du jour de la matinée, à l’exception de
quelques prestations de serment, une seule affaire inscrite : le prétendu
piratage informatique de la mairie d’Aix-les-Bains.
Une seule affaire avec deux seuls prévenus. D’abord AB, Abdeslem Bouhouf, 48
ans, un ancien agent de médiation recasé en 2012 comme technicien
(sic) informatique à la demande de Dominique Dord, son protecteur d’alors, et
aujourd’hui révoqué. Et puis PS, Philippe Scariot, 57 ans, cadre municipal
successivement affecté au Service des Sports, à la Politique de la Ville puis
aux Activités commerciales, et lui aussi révoqué depuis un an. PS est accusé de
recel de données informatiques piratées. AB est poursuivi pour piratage
informatique et vol de correspondances au préjudice de cinq de ses anciens collègues.
Une audience à huis clos, ou presque...
A 8H45, à l’appel de l’affaire, la salle du tribunal est quasiment vide. Outre
les deux prévenus et leurs avocats respectifs, personne. Pas de public (à l'exception d'un détonnant attelage. Un observateur camouflé pour des gens de la mairie? Ce serait bien dans leurs habitudes!) Et pas
davantage de parties civiles. Ni le maire d’Aix, celui qui a pourtant déposé la
plainte initiale, ni les employés de la mairie à qui on aurait
« volé » des correspondances, ne se sont déplacés. Ni le maire ni les
autres prétendues « victimes » n’ont délégué d’avocats pour les
représenter. Il y aurait donc eu un énorme piratage et des vols mais pas de préjudice?
Autre curiosité, alors que la presse papier aixoise avait fait ses choux gras
(et même la une, voir ci-dessus le daubé) avec cette présumée affaire de piratage informatique, pas un
représentant de ces journaux d’investigation (rires) n’est présent dans la
salle en ce matin où le sort de cette histoire va se jouer. Indifférence ou
obéissance aux ordres ? Silence on tourne. Ou on détourne l'attention?
Après avoir
appelé les prévenus à la barre, le président du tribunal retrace les faits qui leur sont
reprochés. Le magistrat, plus que des questions, reprend les faits évoqués dans
la procédure. Tactique ou pas, cela peut donner l’impression que son opinion
est déjà faite malgré les dénégations des deux anciens fonctionnaires
aujourd’hui révoqués. Tout cela laisse un sentiment curieux. Par exemple, à un
moment, puisant dans un dossier de plus de deux cents pages, le président lit
un extrait de l’audition de AB dans laquelle l’ex-agent de médiation avait
menacé d’écrire un livre pour déballer tout ce qu’il avait découvert à la
mairie. Le magistrat qui a pourtant très bien compris que l’ancien gamin de la
banlieue aixoise n’a rien d’un épistolier, lui pose quand même la question :
« Alors, où en êtes vous de ces projets littéraires ? ». De l’humour pour détendre
l’atmosphère peut-être?
A la mairie, ils sont plus forts que
vous !
Le reste de l’audition des deux prévenus ne fait pas
avancer le débat d’un iota. D’un côté des magistrats qui s’en réfèrent au seul
dossier réalisé par la DRH de la mairie, dossier plus ou moins confirmé par une
enquête ultra rapide, et non contradictoire, de la PJ. De l’autre des prévenus
qui nient l’ensemble des faits qui leur sont reprochés. Un dialogue de sourds
ou un procès en sorcellerie. Un moment AB, après avoir rappelé qu’il n’avait
pas voulu être « l’arabe de service », à bout d’arguments s’adresse même au président et à ses
assesseurs en ces termes : « A la mairie, ils sont plus forts que
vous ! ». Une curieuse apostrophe que les magistrats ne relèveront
pas. On en cherche encore le sens.
Invitée à
prononcer ses réquisitions, la vice-procureure va faire le service minimum.
« Vous avez tous les éléments pour entrer en voie de condamnation »
affirme-t-elle d’entrée au tribunal. Et comme il faut bien que le parquet
justifie l’existence d’un dossier de 20 centimètres d’épaisseur et la
comparution des deux hommes à cette audience, elle reprend à son compte, et
sans s’y appesantir, les faits retenus dans le dossier... En foi de quoi, la
vice-procureure, sans conviction apparente, réclame une peine de 6 mois de
prison et 1200 euros d’amende pour AB et 1mois de prison et 8000 euros d’amende
pour PS. Le tout assorti plus ou moins d'un sursis. Même sans conviction, ça fait lourd.. !
Un avocat : j'ai l'impression d'être une figurine!
Puis vient le tour des avocats et là on entre vraiment au cœur du sujet. Pour
la défense de AB, maître Choutri, lui, a vraiment fouillé le dossier. Et il en
a tiré une première conclusion, à savoir que l’enquête qui a mené à la
comparution de son client n’a pas été réalisée conformément au droit puisqu’il
n’y a pas eu de procédure contradictoire. Plus grave à ses yeux « C’est
Mme Ponard (la DRH de la mairie) qui a conduit l’enquête de la police
judiciaire » accuse-t-il en le démontrant et en dénonçant l’absence de
preuves qui auraient pu conforter l’accusation : « L’enquête c’est du
virtuel mais au tribunal il faut du matériel » assène-t-il.
Patiemment, à l’aide d’exemples précis, Me Choutri s’efforce de démontrer que
les faits reprochés à AB et PS ne reposent que sur des suppositions, des
extrapolations, pas sur des faits. Il relève les contradiction du dossier et
demande à ce que l’affaire soit renvoyée pour des compléments d’enquête et des
expertises. Mais devant l’attitude du tribunal qui ne semble pas accorder du
crédit à ses propos, il finit par lâcher « J’ai l’impression, comme dit
mon fils, d’être une figurine ». En clair, quelqu’un qui ne sert à rien,
qui fait juste partie du décor. Dommage. Car face aux fantaisies dévoilées de
l’accusation, la démonstration de l’avocat de la défense relevait, elle, de
l’évidence.
Me Cataldi,
l’avocat de PS, enfonce à son tour un nouveau coin dans un dossier d’accusation
qui paraît de plus en plus bancal. Pour lui, une telle affaire de piratage
informatique, si elle existait vraiment, aurait justifié une procédure
contradictoire devant un juge d’instruction. Au lieu de quoi la PJ puis le
parquet ont plus ou moins validé, et très hâtivement, l’enquête interne et les
expertises (sic) menée par la seule DRH de la mairie. L’avocat met aussi en
avant l’absence des supposés éléments de preuve « Où est le mail que mon
client aurait détourné. (...) Où est la clé USB dont on prétend qu’il se serait
servi ? (...) Ce dossier n’est pas en état d’être jugé ».
Estimant que dans cette affaire les droits de la défense ont été bafoués par le
parquet, il demande à ce que les magistrats refusent de juger un dossier dans
ces conditions « Le tribunal doit marquer le coup, sinon c’est la porte
ouverte au parquet... » conclut-il en demandant le renvoi de l’affaire ou
la relaxe de son client.
Le président, après avoir fait revenir à la barre les deux prévenus qui lui
confirment qu’ils n’ont rien à ajouter, annonce que l’affaire est mise en
délibéré jusqu’au 16 décembre.
Ce vendredi 18 novembre, peu avant
les coups de onze heures, en quittant la salle et en jetant un dernier regard
vers le tribunal, j’ai le curieux sentiment que même si les
avocats avaient réussi à démontrer que, au moment des faits présumés, leurs
clients étaient en mission sur la lune ou sur mars, le sort d’A. Bouhouf et P.
Scariot aurait quand même été scellé. Coupables, forcément coupables. Depuis,
ce sentiment confus a laissé place à un raisonnement...
Voilà une affaire que la mairie avait médiatisée à l’excès. Pour les mêmes
faits qui leur ont valu de comparaître vendredi devant un tribunal
correctionnel, AB et PS ont été suspendus, puis convoqués devant une commission
de discipline, révoqués, privés de revenus, mis au ban de la société, déclarés
coupables avant même leur comparution devant ce tribunal. Dans ces conditions,
si, le 16 décembre prochain, le tribunal prononçait leur relaxe, tout ce qui
leur est arrivé depuis janvier 2015 en serait annulé. AB et PS pourraient alors
demander leur réhabilitation, leur réintégration à la mairie. Et des dommages
intérêts. Plus grave, ils pourraient aussi se retourner contre ce député-maire
qui les aurait accusés à tort et le voir traduit, à son tour, devant la
justice.
Et je me pose la question : même si, comme j’en ai la conviction, il était
avéré que le dossier monté par la DRH contre AB et PS ne relève que de la
spéculation intellectuelle et de la mauvaise foi, les magistrats chambériens
pourraient-ils désavouer de manière aussi nette le député de la
circonscription? Ce serait une belle preuve de l’indépendance de la justice
vers laquelle mon pessimisme naturel et mon expérience personnelle ne
m’inclinent pas naturellement à pencher. Mais je me suis déjà tellement
trompé dans ce genre d'exercice qu'une fois de plus ne me porterait pas ombrage...
Jacques Girard