Il faut en finir avec une opinion qui pardonne tous les vices et surtout la
lâcheté de cette classe dirigeante.
Extrait d’un texte d’Octave
Mirbeau
qui date du début des années 1900. Personnage politiquement incorrect, individualiste
libertaire. C’était un véritable intellectuel critique et analyste de notre
système que l’on dit ‘’républicain’’. A l’époque, le système était entre les mains
des Maîtres des Forges, de grands bourgeois riches entrepreneurs et
développeurs industriels.
Aujourd’hui tout a changé ! Ce sont des bourgeois diplômés ou non, veules
et incultes. Alors que les anciens construisaient des usines, ceux
d’aujourd’hui les détruisent, ce sont des piliers des journaux télévisés et de
Match ou Gala. Ils sont, avec leurs complices de la presse, d’une lâcheté
redoutable. Aujourd’hui les ‘’stars’’ du système sont trafiquant de drogue ou
énarques grands consommateurs de ces produits.
Extrait:
«Je comprends qu’un escroc trouve toujours des
actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti, le
Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres…Mais qu’un député, ou un
sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel, parmi tous les
étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit,
trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous
nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous
enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de
ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au
derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité,
cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites
jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en
particulier…»
Une chose m’étonne prodigieusement —
j’oserai dire qu’elle me stupéfie, c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après
les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse seul
électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se
déranger de ses affaires,de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur
de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce
surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus
subtiles et confondre la raison ? Où est-il le Balzac qui nous donnera la
physiologie de l’électeur moderne ? Et le Charcot qui nous expliquera
l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons.
Je comprends qu’un escroc trouve toujours
des actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti,
le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui
célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne ; je
comprends M. Chantavoine s’obstinant à chercher des rimes ; je
comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République,
ou n’importe lequel, parmi tous les étranges farceurs qui réclament une
fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être
irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa
laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule
perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique
sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de
fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal
pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général,
et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô
chauvin !
Il est bien entendu que je parle ici de
l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine,
le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer
ses opinions, imposer — ô folie admirable et déconcertante — des programmes
politiques et des revendications sociales ; et non point de l’électeur
« qui la connaît » et qui s’en moque, de celui qui ne voit dans
« les résultats de sa toute-puissance » qu’une rigolade à la
charcuterie monarchiste, ou une ribote au vin républicain. Sa souveraineté à
celui-là, c’est de se pocharder aux frais du suffrage universel. Il est dans le
vrai, car cela seul lui importe, et il n’a cure du reste. Il sait ce qu’il
fait. Mais les autres ?
Ah ! oui, les autres ! Les
sérieux, les austères, les peuples souverains, ceux-là qui sentent une
ivresse les gagner lorsqu’ils se regardent et se disent : « Je suis
électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société
moderne. Par ma volonté, Floquet fait des lois auxquelles sont astreints
trente-six millions d’hommes, et Baudry d’Asson aussi, et Pierre Alype également. »
Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si
orgueilleux, si paradoxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis
longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ? Comment peut-il arriver
qu’il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la
Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un
bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit,
assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y
oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le soûle ?
À quel sentiment baroque, à quelle
mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à
ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un
devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin,
peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?… Qu’est-ce qu’il doit bien se
dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte
extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se
donner des maîtres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se
dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons
pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député
correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de
travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de
Baïhaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie
spéciale et qu’il voie, au travers d’un mirage, fleurir et s’épanouir dans
Vergoin et dans Hubbard des promesses de bonheur futur et de soulagement
immédiat. Et c’est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de
leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.
Voilà pourtant de longs siècles que le
monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes
aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection
aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu’il n’a
qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il
ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le
regardent point.
Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean
qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu’il est obligé de se
dépouiller de l’un, et de donner l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses
voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus
rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera
toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils
n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera,
et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier
que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a
fait des Révolutions pour conquérir ce droit.
Ô bon électeur, inexprimable imbécile,
pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te
débitent, chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou
noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au
lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on
entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter,
éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu
lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes
qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des
choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu
moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite
vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom
de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la
politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de
la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est
réglé au grand livre des destinées humaines.
Rêve après cela, si tu veux, des paradis de
lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels.
C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l’homme à
ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre.
Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait,
un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu
le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas
et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu
élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il
ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont
contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui
seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu
assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela
passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire
qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du
suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela
pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs
d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant
silencieusement ta pipe.
Et s’il existe, en un endroit ignoré, un
honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il
serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis,
trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace
cynique, à l’insulte et au mensonge.
Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi
et fais la grève.
Octave Mirbeau.
Vanité et vacuité, les deux
mamelles de nos élus.
Il faut rétablir le concept de ‘’haute trahison’’ et ‘’l’indignité
nationale’’ pour les délits contre la Nation. Il faut prononcer la culpabilité
des élus sans préjudice des autres peines criminelles ou correctionnelles
encourues dans les cas où les faits reprochés constitueraient des infractions
aux lois pénales.
Mais pour ça, il faudrait que les gnous/citoyens se réveillent avant qu’il
ne soit trop tard.
BF