Si la justice est aveugle, elle est loin d'être gratuite pour les justiciables

Surtout pour ceux qui ne réclament rien pour eux-mêmes


Oui, il est dérangeant le jugement du TA de Grenoble déboutant l’élu voglanais et le condamnant à payer 1200 euros à sa commune. Et justement parce qu’il est dérangeant il serait bon qu’il ne reste pas en l’état...


Lors de la dernière rentrée scolaire, les parents des écoles communales de Voglans avaient tous reçu une fiche en vue d'inscrire leurs enfants souhaitant participer à la cantine scolaire. Sur cette fiche les parents étaient invités à cocher, ou pas, une case précisant si leurs enfants ne mangeaient pas de porc.
C'est pour protester contre la présence de cette case "Repas sans porc" que Marcel Girardin, conseiller municipal de Voglans, avait saisi le tribunal administratif de Grenoble. L’élu d’opposition estimait que cette mesure ne respectait pas la tradition française de laïcité et était contraire à la loi de 1905 ainsi qu'à la Constitution.

Dans un jugement rendu voici quelques jours, non seulement le tribunal l’a débouté mais, par surcroît, il a condamné M. Girardin à verser 1 200 euros à sa commune au titre des frais d’avocat qu’elle a engagés. Et voilà de bonnes raisons de s’interroger...

Autant on peut trouver légitime qu’une cantine scolaire propose des repas susceptibles d’être appréciés par l’ensemble des élèves, sans en pénaliser aucun, autant il n'était pas infondé d'estimer que la façon de faire de la mairie de Voglans était troublante, voire de nature à conclure à une forme de soumission, totalement prohibée, à un culte.

Qu’un maire propose de servir des repas sans poulet, sans fromage, sans œuf, sans mouton, sans poisson ou encore sans lapin, à la cantine municipale, relève de son droit et personne n’y trouverait malice, sinon de la fantaisie. A contrario, proposer ostensiblement des « repas sans porc » sur une fiche d'inscription à la cantine prend une toute autre tournure.
Pas besoin, en effet, d’être un théologien érudit pour comprendre que cette indication s’adressait tout particulièrement aux familles pratiquant un culte religieux prohibant l’ingestion de cette viande.
C’est en ce sens que la décision du TA de Grenoble semble contestable puisqu’elle laisse entendre que la précision « repas sans porc » ne disconvient pas à la loi alors que le bon sens commun, lui, au contraire, est tenté d'y voir une forme de soumission à un culte, mais pas seulement. Et en ces temps troublés était-il bien utile d’ajouter de la confusion à la confusion ?


On peut même aller plus loin en se demandant si le fait de laisser des maires demander à des parents d'indiquer leur inclination pour des « repas sans porc »,  ce n’est pas prendre le risque de voir certains élus, malintentionnés, profiter de cette précision pour repérer et ficher ceux, parmi les élèves, dont les parents seraient fidèles à un culte, en particulier à un culte depuis quelque temps sous les feux de l'actualité. Voilà en effet une précision qui permettrait de constituer un « fichier » lequel fichier, lui, tomberait sous le coup de la loi. On a connu, en des temps pas si reculés qu'ils échappent à la mémoire collective, des gens fichés et inquiétés pour une présumée appartenance ethnique ou religieuse...

Voilà qui ferait déjà une somme de bonnes raisons pour contester la décision des juges grenoblois mais il en est une autre, peut-être encore plus troublante, à savoir la condamnation de M. Girardin à verser 1 200 euros à sa commune au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Il suffit de lire attentivement l’article précité pour s’apercevoir que cette sanction financière est pour le moins... mal fondée :

Article L761-1

Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

Si la loi a bien prévu que la partie perdante pouvait être condamnée à verser à l’autre partie une somme au titre des frais exposés par cette dernière, la même loi a mis un sacré garde-fou à cette menace puisqu'elle a précisé que le juge devait « tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée ». Or, il apparaît qu’en l’occurrence ce n’a pas pu être le cas car l’élu voglanais dit n’avoir jamais été invité à faire connaître sa situation économique. Si il avait été invité à le faire, il est probable que le juge aurait mesuré à quel point cette condamnation à verser 1 200 euros à une commune « riche » serait apparue comme injuste et ne respectant pas l’équité exigée par la loi.

Au fil des siècles, le législateur a voulu qu’à travers les tribunaux administratifs chaque citoyen puisse librement (et gratuitement) contester les décisions de l’administration qui lui paraissent contraires à la loi ou à l’intérêt général. C’est une mesure très démocratique qu’il convient de souligner et de préserver. Dans cette optique, le fait de frapper d’une lourde sanction financière un citoyen qui, de bonne foi, a osé contester une décision de l’administration, reviendrait à priver de sens l’ouverture des tribunaux administratifs aux citoyens lambda, en réservant cette possibilité aux seuls bénéficiaires de fortunes personnelles ou de soutiens financiers conséquents. En ne tenant pas compte de cette « équité » pourtant requise par la loi, le juge a-t-il pris le risque que l’on voie derrière sa décision comme une véritable sanction à l’égard d’un citoyen qui n’a fait qu’exercer son droit de contrôle sur l’administration? Ou comme une forme d’avertissement à l’attention d’autres éventuels plaideurs..?

Pour tenter de réformer la décision des juges administratifs de Grenoble, M. Girardin doit désormais s’adresser à la Cour d’Appel de Lyon et une grosse difficulté apparaît. Alors que la procédure est libre et gratuite en première instance, en appel le recours à un avocat est obligatoire. Et un avocat, il faut lui verser des honoraires (minimum 1 000 euros en l'occurrence), c’est à dire quasiment la somme à laquelle M. Girardin a été condamné. Doit-il dès lors renoncer sous cette seule pression financière ?

A l’annonce de la sanction financière qui a frappé l'élu voglanais quelques lecteurs se sont manifestés pour lui signifier leur soutien. Si il parvient à réunir la somme nécessaire pour obtenir le concours d’un avocat, M. Girardin ira en appel. Dans le cas contraire, il sera contraint de renoncer.  Si, parmi les lecteurs, il s’en trouve pour estimer qu’au delà de son sort, c’est un peu de notre démocratie et de notre façon de vivre qu’il faut défendre, ils peuvent envoyer à M. Girardin une promesse de don. Si le montant minimum de promesses est atteint, les « prometteurs » recevront des indications plus précises pour faire parvenir leur participation. On peut toujours rêver... Dans le cas contraire, ce sera une autre forme de soumission, celle de ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent face aux puissants qui, eux, se servent de l’argent public pour défendre des intérêts qui nous dépassent... Et l'on sait où tout cela nous mène.
En ces temps troublés, il est d'autant plus urgent d'y réfléchir que même la presse papier, ordinairement très empressée avec les magistrats, n'hésite plus, dans des éditoriaux au vitriol, à fustiger leur laxisme et à dénoncer leur parti pris, voire à parler de "caste des fonctionnaires du droit" et à souhaiter les inscrire au "mur des cons" (confer, ci-dessous l'édito de G. Debernardi du dauphiné libéré).
On se gardera bien ici de tomber dans le même excès de langage et de hurler avec les loups.
Les personnes intéressées peuvent contacter Marcel Girardin à l'adresse mail suivante:
marcel.girardin73@laposte.net