Trop beau et trop complexe pour être vrai

Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup


Quand on consulte le document que la mairie a laissé volontairement "fuiter" sur le projet des Anciens Thermes on ne peut qu'en déduire qu'il y a manifestement une embrouille quelque part. C'est à la fois trop beau et trop complexe pour être vrai...


Le 2 mars dernier le député-maire d'Aix les Bains dévoilait, d'abord à la presse papier puis aux élus municipaux réunis à huis clos, "son" projet pour les Anciens Thermes. Enfin, il en révélait surtout les grandes lignes, à savoir qu'un consortium composé de Bouygues SA et de la Société d'Aménagement de la Savoie allait acquérir le bâtiment afin d'y réaliser pour 85 millions d'euros de travaux, en particulier pour aménager des surfaces commerciales ainsi que deux tours de cent logements chacune. Une information qui semblait tomber du ciel car quelques semaines plus tôt, la mairie était encore en discussion avec la société Vinci, soi disant pour préparer (elle aussi) un projet de transformation des Anciens Thermes.


Et voilà que moins de deux mois après cette annonce plus que sommaire, la mairie s'est arrangée pour qu'un important document de travail soit mis sur la place publique. Il s'agit de la "présentation de la faisabilité (sic) des anciens Thermes d'Aix les Bains" :



Ce document, ses 104 pages, ses plans et ses explications, ont été concoctés par le cabinet d'architecture Patriarche et Co, celui-là même qui a produit l'ineffable projet de la ZAC des bords du lac. Une référence...
C'est peu de dire que, cette fois encore et bien davantage, les architectes ont laissé libre cours à leur fantaisie. Une chose est certaine, ce n'est pas en quelques semaines qu'ils ont réalisé ce travail. Leur projet est minutieux au point de définir, au mètre carré près, les surfaces destinées à telle ou telle activités, voire à tel ou tel repreneurs potentiels nommément cités. Et voilà un projet qui suscite plus de questions que de réponses...


D'abord on a comme l'impression d'avoir été embrouillés, menés en bateau.
Cela fait en effet dix ans que la mairie est le propriétaire virtuel des bâtiments et trois ans qu'elle en est le propriétaire réel et l'on n'ose pas imaginer que c'est seulement depuis le 2 mars dernier qu'un tel projet lui est apparu évident. Néanmoins, deux options se présentent: soit Dominique Dord a baladé tout son monde depuis dix ans pour aboutir à ce projet démentiel et quasi pharaonique qu'il a caché jusqu'au dernier moment, soit, incapable de trouver un usage et un financement publics pour la rénovation de ces bâtiments, il s'est résolu à les céder à des investisseurs privés et à Dieu vat...

En tout cas promoteurs et architectes font mine de ne douter de rien puisqu'ils exigent tout simplement que la vente des bâtiments et l'accord de la mairie pour leur projet leur soient donné au plus tard le mois prochain, avant la fin juin.
Quant à l'estimation du coût de ces travaux elle apparaît nettement en dessous de la réalité...

On s'interroge sur le bien fondé d'un tel investissement qui consiste, entre autres et après la complexe démolition de la moitié du bâti existant, à réaliser près de 20.000 mètres carrés de surfaces commerciales ou de bureaux, plus deux tours de deux cents logements, plus des parkings intérieurs couverts, plus des placettes, plus des espaces de circulation, plus, plus, plus... Le tout pour un chiffrage de 85 millions d'euros. Or, quand on regarde de près ce projet et qu'on le compare au modeste chantier de rénovation de la piscine municipale, qui, sans qu'on touche aux bassins, va coûter près de 10 millions d'euros, on a du mal à penser que le projet Patriarche sera bouclé avec 85 petits millions. Toute proportion gardée, on se dit même que si ce projet est lancé un jour, il finira par ressembler à celui de la rénovation des Halles de Paris et son budget à rallonges et ses délires d'architectes et son dernier avatar avec sa Canopée si contestée...


Et enfin on se demande si tout cela est bien sérieux. Ainsi il est expressément prévu, dans ce projet, de réserver près de 3000 mètres carrés, sur deux niveaux (Rdc et R+1), à la seule société Peyrefitte Esthétique. Comme on imagine qu'au prix de l'immobilier actuel, le mètre carré dans les Anciens Thermes rénové tournera au minimum, à l'achat, à 2000 euros (on a dépassé les 4000 €/m2 au bord du lac), on se demande comment une petite société qui paye aujourd'hui 10.000 euros de loyer par an, pourra dépenser 6 millions d'euros pour s'offrir un tel espace.

Même interrogation et incompréhension lorsqu'on découvre qu'également près de 3000 mètres carrés, sur plusieurs niveaux, sont déjà réservés à l'Office de Tourisme et à ses satellites, soit un investissement minimum, hors aménagement intérieur, de 6 millions d'euros à la charge de la collectivité. Quand on sait que Dord a promis (croix de bois, croix de fer) que la Ville ne dépenserait pas plus de 15 millions d'euros en tout, on se dit qu'il ne va pas rester grand chose pour les autres usages publics. D'ailleurs, sur les plans, rien d'autre n'est vraiment prévu...


Et malgré tout cela, les promoteurs ne semblent douter de rien. Ils ont même prévu, dès que l'accord avec la Ville sera signé en juin prochain, de déposer les "demandes permis de construire en deux phases afin de réduire les risques juridiques (recours)".



On serait tentés de sourire et de dire que ce projet, superbe sur le papier mais un peu fou dans la réalité, ne verra pas le jour. Mais la présence de la Société d'Aménagement de la Savoie dans le consortium laisse quand même les plus grosses craintes. Car la SAS, c'est une société dont les actionnaires sont les contribuables locaux et qui a pour habitude de demander à ses villes clientes de lui faire des avances de trésorerie, quitte, un jour, à ne pas pouvoir les rembourser.

Une chose est sûre, dans le flou qui a entouré cette affaire il y a de quoi se méfier. Car comme disait la grand-mère de Martine Aubry "quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup".
Et le loup, ça fait déjà quelques années qu'il est entré dans la bergerie aixoise et qu'il y fait la fête.