La mise en examen de Nicolas Sarkozy pour financement
illégal de campagne électorale est l’une des conséquences de l’affaire
« Bygmalion ». Dans cette affaire embrouillée où tous les acteurs se
renvoient le mistigri, il nous est apparu évident que sans Dominique Dord, il n’y
aurait pas eu d’affaire Bygmalion. C’est ce que l’on va démontrer en
établissant, dans un premier temps, que le trésorier de l’UMP a bien cautionné,
par sa signature, son acquiescement ou par son silence, le paiement de factures
falsifiées dont certaines lui avaient pourtant paru douteuses. Puis, dans un
second temps, en développant l’hypothèse que c’est bien Dord qui a contribué à
donner à cette affaire sa dimension médiatique et judiciaire.
Tellement de déclarations contradictoires autour de cette
affaire ont été tenues depuis plus de trois ans que, pour ce qui suit, on va se
limiter à ce qui, aujourd’hui, n’est plus contesté par les intéressés ou qui
peut être utilement prouvé.
Il n'y a aucun doute là-dessus, quand s’ouvre la campagne électorale
pour la présidentielle de 2012, Dominique Dord est bien le trésorier de l’UMP.
Il est donc, selon les statuts, celui dont l’approbation est indispensable pour
tout paiement de plus de 450 euros, le principal élu responsable de l’utilisation de
l’argent du parti.
Il est également avéré qu’en avril-mai 2012, en pleine
campagne électorale, D. Dord a donné son « accord » pour le paiement
par l’UMP de deux factures à Event & Cie, filiale de Bygmalion, pour un
total de 8 millions d’euros. Les dirigeants d’Event ont confirmé depuis que ces
factures avaient servi à couvrir des dépenses qui auraient dû être prises en
charge par le candidat et non par le parti, version retenue par la justice lors
de la mise en examen de Sarkozy. Dord l’ignorait-il ? C’est ce qu’il a
prétendu, tout en reconnaissant que l’origine de ces factures l’avait alerté.
Voici ce qu’il déclarait en novembre 2014 au magazine Vanityfair :
Dord aurait donc eu des soupçons sur la légalité de factures d'un montant de huit millions d'euros mais il les
aurait payées quand même ! Voilà qui semble étonnant... Sauf quand on
prend connaissance, dans le même article de Vanityfair, de la version que Guy Alvès, un
dirigeant de Bygmalion, avait précédemment donnée de cet accommodement :
Les versions comparées de D. Dord et de G. Alvès laissent entendre que si
le trésorier de l’UMP a payé à partir de mai 2012 des factures qu’il estimait douteuses,
c’était « de bonne foi » (sic) et en pensant qu’il s’agissait d’un
« canal pour faire sortir de l’argent (...) forcément pour alimenter
une caisse noire pour Copé ». Retenons ces versions pour crédibles.
Pourquoi le trésorier de l'UMP a-t-il accepté de payer des factures avec des montants dingues et qui lui avaient mis la puce à l'oreille?
Donc, si l’on s’en tient à ce qui précède, dès le mois d’avril 2012 le trésorier de l’UMP a des soupçons sur la sincérité des factures présentées par Bygmalion ou par sa filiale Event & Cie. Il pense « de bonne foi » que J-F Copé est en train de se préparer une caisse noire. Pourtant, officiellement, il ne proteste pas. Voilà qui, de sa part, n’atteste pas d’une grande rigueur. Voire même pire. S’il continue d’honorer les factures, est-ce parce qu’il prépare une autre échéance, l’élection à la présidence de l’UMP ? Pense-t-il que les secrets qu’il croit détenir sur la situation financière de son parti vont lui ouvrir les portes ? En tout cas, en juillet 2012 Dord annonce sa candidature à cette présidence... Avant de la retirer quelques semaines plus tard et de soutenir François Fillon dans la course à la présidence.
D’août à Novembre 2012, le trésorier de l’UMP se présente
désormais comme le soutien le plus fidèle et le plus engagé de Fillon. Dans son
viseur il garde toutefois Copé qu’il accuse ouvertement d’utiliser les moyens du parti à
son profit. Malgré ses soupçons affichés de plus en plus publiquement, il
demeure à son poste de trésorier et il continue de régler les factures, y
compris les plus surprenantes. Comme ce virement
de 50 000 euros au profit du parti chrétien démocrate de Christine Boutin.
Il
s’agit en l’occurrence de régler le reliquat d’une promesse faite à Boutin pendant la campagne présidentielle
par Sarkozy, promesse dont Dord a eu tous les éléments en main dès le mois
d’avril 2012 et dont il a déjà réglé l’essentiel. L’affaire ayant fait grand bruit
en ce mois d’octobre 2012, dans un premier temps, Dord affirmera, croix de
bois, croix de fer, n’avoir jamais versé quoi que ce soit à C. Boutin.
Il faudra que Copé, preuves à l’appui, lui rafraîchisse la mémoire pour que
Dord finisse par reconnaître l'existence d'un accord. Le jour même de ses dénégations, il donnera l'ordre de verser le reliquat des « indemnités » à la présidente du PCD (parti chrétien démocrate) qui s’était retirée de la compétition présidentielle à la demande de
Sarkozy. C'est ce que confirme cet échange de mails entre le trésorier élu et la directrice salariée:
Non seulement cet échange entre le trésorier et la salariée de l’UMP vient
attester des pertes de mémoire providentielles de Dord mais il apporte aussi un
autre éclairage sur les relations entre D. Dord et la directrice financière de
l’UMP. Depuis le début de l’affaire, l’homme ne cesse de clamer qu’il n’est
responsable de rien et qu’il ne faisait que valider ce que les salariés de
l’UMP avaient préalablement approuvé. Or, dans ce mail, on voit bien que la
directrice salariée attend la décision éclairée du trésorier élu et que tout
repose sur lui. On constate aussi que le trésorier donne expressément son
accord pour l’utilisation de sa « griffe », ce que la directrice ne
lui impose pas non plus. L’existence de cette « griffe » tendrait à
prouver que personne à l’UMP n’avait besoin « d’imiter » sa
signature, comme il l’a prétendu devant les juges. Enfin, on en retiendra que
les relations entre le trésorier élu et la directrice salariée étaient placées
sous le signe d’une réelle complicité, toute amicale, comme en attestent les
« bises » qui concluent leurs messages.
Personne n’oserait douter de leur sincérité et confondre ces « bises » avec le « baiser de
Judas »..!
Bref, de tout ce qui précède, on peut conclure que l’attitude de Dord n’est pas aussi simple qu’il a voulu le prétendre. La suite ne sera pas non plus piquée des vers.
(à suivre)