De deux choses l'une: pour se lancer là-dedans, ou bien il fallait avoir un joli flair et être sacrément gonflé, ou bien il fallait avoir un agent bien intentionné dans la place. Explications.
A la fin du 19ème siècle, l'État rachetait au Marquis d'Aix ce qu'on appelle aujourd'hui le Parc des Thermes. Une condition était mise à cette vente: que rien ne soit jamais construit dans ce parc et qu'il demeure un lieu de promenade ouvert et gratuit. L'État enfreindra pourtant cette clause en 1933 en autorisant la mairie d'Aix à y construire deux bars à l'emplacement de ce qui deviendra plus tard le restaurant de la Rotonde. L'État mettait alors ce parc gratuitement à la disposition de la Ville par un bail de 18 ans renouvelable autant de fois que nécessaire. Conformément aux règles en vigueur, il était convenu qu'à l'échéance du bail ou des baux renouvelés, les biens construits sur ce terrain reviendraient au propriétaire, c'est à dire à l'État.
En 2003, Restoleil rachète surtout un risque
En 2003, Restoleil rachetait donc un fonds de commerce mais ne disposait d'aucun bail commercial. Ce qui signifie qu'en pratique l'acquéreur n'était propriétaire de rien, sauf des meubles et de la raison sociale, mais qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucun droit à rester durablement dans les lieux, pas même de recevoir une indemnité en cas d'éviction. Ce qui ne l'avait pas retenu d'y investir 1,3 million d'euros comme le rapportait l'excellent magazine ECO Pays de Savoie de juillet 2003. Et pourtant, à l'approche de l'échéance de 2005 (fin du bail entre l'Etat et la Ville) une ombre se profilait déjà...
En effet, suite à la transformation de l'Établissement Public des Thermes en Société Anonyme (S.A.) des Thermes, l'État décidait de ne pas renouveler le bail de mise à disposition du Parc à la Ville. Ce qui laissait présager que le Parc et tout ce qu'il comportait (le Théâtre de Verdure, la fontaine, les kiosques, le parking et, bien sûr, la Rotonde) allaient entrer dans le patrimoine de la Société Anonyme. Dès lors les dirigeants de Restoleil auraient eu toutes les raisons d'être inquiets.
Or, cinq ans plus tard, quand l'État choisissait de vendre la S.A. des Thermes aux enchères, le Parc faisait bien partie du patrimoine avec toutes ses annexes à l'exception de... La Rotonde. Ouf, la société Restoleil avait eu bien de la chance. Toutefois ce ne pouvait être que partie remise car si l'Etat restait propriétaire de la Rotonde, il n'était pas en mesure d'en céder le bail commercial à l'exploitant qui se trouvait, plus que jamais, sans droit ni titre pour occuper durablement les lieux. En effet, si l'État avait voulu revendre ces biens, la loi l'obligeait à recourir à la procédure de vente par adjudication et d'autres acquéreurs potentiels auraient pu vouloir se mettre sur les rangs, un restaurant bénéficiant d'un tel emplacement étant très recherché. C'est là qu'on répète que Restoleil avait été sacrément gonflé.
Coup de chance sur coup de chance
Mais manifestement la chance était de son côté. En effet, il existe une seule exception au principe de vente par adjudication par l'État d'un bien domanial, c'est lorsque la collectivité sur laquelle ce bien est implanté fait jouer son droit de priorité. Et, encore un coup de chance, en 2014 la mairie d'Aix-les-Bains faisait jouer ce droit et se portait acquéreur du bâtiment de la Rotonde.
Et, avant dernier coup de chance, en décembre 2015, après, nous a-t-on raconté, de longues et pénibles discussions de juristes, la mairie a décidé de céder le bail commercial de la Rotonde à Anthony-Restoleil pour la bagatelle* de 600.000 euros. Quant au prochain et dernier coup de chance, ce sera sans doute pour bientôt.
Ainsi, attendons-nous à ce que, dans l'avenir, le maire vienne nous expliquer que les bâtiments de la Rotonde doivent nécessiter des travaux importants de réfection et que, plutôt que d'engager la Ville dans ces travaux, il a retenu l'offre de l'exploitant qui a proposé de racheter l'immeuble et d'effectuer lui-même les réfections nécessaires. Tout cela en nous expliquant qu'en vendant les murs pour 400.000 euros, la Ville non seulement rentrerait dans ses frais mais réaliserait par surcroît un petit bénéfice.
Voilà, ce serait la fin de l'histoire, une histoire faite de coups d'audace et de coups de chance. Mais on n'empêchera personne de penser que tout cela est cousu de fil blanc et qu'en rachetant en 2003 le fonds de commerce de la Rotonde, le pdg de Restoleil avait reçu l'engagement de Dominique Dord qu'en cas de privatisation des lieux il serait prioritaire pour en devenir le propriétaire du bail, en attendant des murs. Ce qui signifierait par la même occasion qu'en 2003 Dord avait déjà programmé la privatisation des Thermes dont il avait pris la présidence. Mais ceci est une autre histoire comme disait Kipling, et l'on n'empêchera jamais les gens de penser.
Note aux benêts:
*Pourquoi avoir qualifié de "bagatelle" le montant de 600.000 euros pour le prix de cession par la Ville du bail de la Rotonde à une société filiale de Restoleil? D'abord parce qu'en 2008, à l'instigation du député-maire d'Aix les Bains, la CALB a racheté un fonds de commerce d'un restaurant saisonnier (fermé depuis 6 ans) et ses bâtiments entièrement à détruire pour 1,2 million d'euros. Difficile de croire que le Restaurant de la Rotonde, ouvert 7 jours sur 7, midi/minuit et toute l'année, vaudrait deux fois moins cher que le Restaurant de la Chambotte ouvert moins de six mois par an.
Par ailleurs, toujours selon ECO Pays de Savoie, en 2003 La Rotonde réalisait déjà un chiffre d'affaires supérieur à 1,2 million d'euros et l'ambition de Restoleil était de passer rapidement au-dessus des 2 millions. Sachant que, selon les spécialistes du marché, le montant du bail d'un tel établissement représente environ 75% du chiffre d'affaire, on arriverait alors à une valeur de bail au minimum de 1,5 million, bien loin des 600.000 négociés avec la Ville. Enfin on se demande pourquoi la Ville a eu besoin de négocier pendant un an et de réduire ses prétentions alors que c'était elle qui avait les cartes en main. Dans ces conditions, ou bien Restoleil payait le prix demandé ou bien la Ville cherchait un autre acquéreur. Mais, à l'évidence, Dord a préféré négocier. Allons savoir pourquoi...