2) Un pire ratage et pas qu'informatique

II) Une familiarité consternante entre un maire et un agent municipal

Malgré cela, l’ex gamin de Lafin semblait demeurer l'homme de confiance du député-maire et son missi-dominici dans les quartiers. AB, dont la formation sur le tas avait été interrompue, n’avait que des connaissances limitées en informatique. S’il ne se trouvait ni en mesure ni dans l'intention de pirater des données confidentielles, il côtoyait par contre des gens qui, soit savaient y faire, soit profitaient des failles ou de l’absence de protection pour consulter des dossiers qui ne les concernaient pas. Au point que c’était devenu une sorte de jeu au sein de certains services. Il était quasiment de notoriété publique que des agents de tout grade avaient accès à des fichiers présumés protégés mais cela ne semblait pas inquiéter quiconque, peut-être par laxisme, peut-être parce que, depuis le départ de l’ingénieur PN, personne n’était en mesure de pallier à ces défaillances. AB, dont l’activité l'amenait à se déplacer de service en service, avait régulièrement connaissance de ces fuites et des rumeurs qu’elles engendraient. Il assure qu'il avait attiré l'attention de la hiérarchie sur cette situation et qu'il en avait également parlé au maire. Surtout parce que certaines de ces rumeurs prétendaient, par exemple, que tel ou tel cadre profitait de sa fonction pour détourner des biens ou des services à son profit...

C'est à la demande du maire qu'il avait enquêté

Voici d'ailleurs, très résumé, comment AB décrit ce qui s’est passé entre 2013 et début 2015 : « J’ai vu des copies qui circulaient de fichiers qui auraient dû être protégés et qui contenaient des informations plus ou moins confidentielles. Je savais comment certains se les étaient procurées. J’ai plusieurs fois attiré l’attention de la DRH pour lui dire que les données informatiques de la mairie n’étaient pas protégées, que n’importe qui pouvait y avoir accès. On ne m’a pas écouté. Je l’ai dit à Dominique Dord. Il a d’abord paru intéressé et m’a demandé d’en savoir plus. J’ai continué de chercher et j’ai découvert que des fichiers circulaient où il était question de malhonnêtetés commises par des gens qui étaient proches du maire et en qui il avait confiance. J’en ai informé Dord. Il m’a dit que c’était difficile à croire mais m’a demandé des preuves. Il voulait surtout savoir qui allait fouiller dans les fichiers. Je lui ai dit que ce pouvait être tout le monde, que c’était le bordel, que rien n’était protégé. Dord m’a recommandé de ne parler à personne d’autre qu’à lui de ce que je découvrais. Et surtout pas à Girard. C’est Dord qui m’a parlé le premier de Jacques Girard en me disant de me méfier de lui. Je ne savais même pas qui c’était Girard et je n’avais jamais entendu parler de lui. Un peu plus tard, quand j’ai voulu reparler avec Dord des fuites de fichiers, j’ai cru comprendre que cela ne l’intéressait plus. Ça, c’était à la fin de 2014 début 2015. Je ne sais pas pourquoi d’un seul coup il ne voulait plus rien savoir alors que je lui disais que j’avais du lourd. J’ai commencé à comprendre quand on a voulu me changer de poste et qu’on m’a interdit d’aller dans les services. C’est dans cet état d’esprit que j’avais laissé un message sur le portable de Dord le 24 février 2015. J’étais très en colère. Je lui ai dit qu’il m’avait pris pendant 10 ans pour un con. On a écrit dans un rapport que j’étais violent dans ce message alors que j’étais seulement énervé. Et puis je parlais toujours comme cela avec Dord, sans prendre de précaution. Le 24 février, il s’agissait d’un message à caractère personnel, comme tous ceux que je lui avais laissés pendant toutes les années et auxquels il me répondait à chaque fois. Quand tu dis quelque chose de personnel à quelqu’un, tu ne t’attends pas à ce qu’il publie ce que tu lui as dit. Lui, il a fait publier mon message dans le rapport pour le conseil de discipline. Mais il n’a pas tout mis. Il a caché l’essentiel, là où je lui parle vraiment de trucs que personne ne voudrait croire. »

Fin de citation.

PRECISION: Dans le rapport de saisine qui a été réalisé par la DRH en date du 21 sept. 2015, à l'intention du conseil de discipline, figure en effet, en Annexe 11, une transcription d'un message que AB a laissé sur le portable de Dord le 24 février. Même si ce message a été largement édulcoré dans cette transcription, son début est très révélateur de l'incroyable niveau de relation et d'échange que le député-maire avait laissé s'instaurer entre lui et un agent municipal de catégorie C (extrait ci-dessous) :



Ce tutoiement, cette familiarité, ce ton, on devine que cela relevait des habitudes de communication entre les deux hommes. Et l'on ne peut s'empêcher de poser la question: pourquoi Dord a-t-il accepté de prendre le risque d'exposer à la connaissance de tous ce mode de relation personnelle et ambiguë qu'il entretenait avec certains des agents de la ville?

Les paroles s'envolent, les écrits restent

A l’évidence, on devine à la teneur de ce message du 24 février que AB avait compris que ses jours de présence à la mairie étaient déjà comptés. Il restait juste pour ses employeurs à trouver le bon prétexte et le bon moyen pour se débarrasser de cet intrus. Un incident allait provoquer le destin.

Un autre agent municipal, PS, un cadre A, était lui aussi sur la sellette mais pour d’autres raisons. Sous des motifs pas très évidents, en décembre 2014 la DRH venait de lui supprimer les avantages dont il bénéficiait depuis des années, à savoir primes et voiture de fonction. Le cadre, très légaliste, avait alors saisi le tribunal administratif pour protester contre cette façon de faire. Rien que de très banal jusque là, une douzaine d’autres agents aixois étant déjà en litige avec leur administration. Sauf que pour cette petite affaire de droit du travail, la DRH n’avait rien trouvé de mieux que de faire appel à un avocat célèbre (et très cher) afin de représenter la ville devant le tribunal administratif. A se demander à quoi servent tous les juristes que la Ville entretient mensuellement à grands frais?

C’est la DRH en personne qui avait pris en janvier 2015 l’initiative de contacter ce « grand » avocat après en avoir référé à « Alain ». (Alain, c’est Gabriel, pourtant réputé être retraité depuis l'année précédente et n’avoir plus aucun rôle à jouer dans l’administration de la mairie en 2015). Rien que de très ordinaire jusque là, la mairie n’étant jamais regardante avec l’argent des contribuables.

Faisant fi de l’adage selon lequel les paroles s’envolent mais les écrits restent (on verra plus loin les conséquences de cette imprudence) c’est par mail que la DRH avait contacté l’avocat, lequel avait répondu par le même canal. Alors que cet échange entre la DRH et l’avocat avait lieu le 6 janvier 2015, une copie intégrale de ces mails allait circuler dès le lendemain 7 janvier. Une rapidité qui laisse penser que la personne qui avait « copié » ces mails et les avait divulgués aussitôt était manifestement quelqu’un de bien informé, très proche de la DRH, et non pas un vulgaire pirate extérieur au service dont les chances de tomber par hasard sur ces mails dans de telles conditions de rapidité étaient très infimes sinon inexistantes. C'est pourtant essentiellement de ce "piratage" là que AB, alors rattaché au service Politique de la Ville (extérieur à l'hôtel de ville), allait être accusé...

(suite et fin au prochain épisode)