1) Un pire ratage et pas qu'informatique

I) Amateurisme, électoralisme et communautarisme, au moins trois explications...

Quelques lignes pour resituer cette histoire dans son contexte. En 2001, Dominique Dord est élu à la tête d’une liste ramasse-tout qui comporte aussi bien les laissés pour compte, de droite et de gauche de la politique locale, que les déçus du Front national. Malgré le discrédit dont il charge André Grosjean, son ancien mentor et maire sortant, Dord ne peut faire mieux que 45% des voix au premier tour. Il remportera le second tour grâce au retrait de Grosjean, accablé de n’être arrivé que troisième derrière la liste de gauche menée par un nouveau venu en politique, Fabrice Maucci.

Des débuts chaotiques qui annoncent la suite

Les premières années du mandat de Dord sont assez chaotiques. Le maire et la plupart des membres de l’équipe municipale n’ont aucune expérience de la gestion d'une ville et, surtout, la mairie manque cruellement de cadres motivés et d’un bon niveau. En plus de cet amateurisme qui saute aux yeux des observateurs, les échecs succédent aux échecs (thermes en baisse, tourisme en berne, chantiers en panne) et entraînent des désillusions. Dord comprend qu’il n’est pas sûr de garder sa place lors du prochain renouvellement. Il suffirait qu’au second tour une liste de centre droit (emmenée par les Ferrari, oncle et nièce) s’allie avec celle d’une gauche modérée, pour que la victoire lui échappe. Si Dord veut être réélu, il va devoir ratisser tous azimuts. Il lui faut aussi aller chercher une partie de la population qui pourrait être tentée par la gauche. Pour cela, il va « ouvrir », large...

Jusqu’en 2001, le recrutement du personnel municipal était exclusivement tourné vers les savoyards de souche et les descendants d’immigrés italiens, en particulier les Siciliens. Cela va changer vers la fin du premier mandat de Dord où l’on voit arriver dans les services des gens « issus de l’immigration » comme l’on dit encore, prélude à ce qui va se passer avec la liste très multiculturelle des candidats aux élections suivantes. Contrairement à son prédécesseur, Dord s’intéresse aux « quartiers » qui représentent des viviers d’électeurs. Et c’est le début d’une forme de communautarisme qui n’a pas fini de produire ses effets pervers. Dans ces quartiers, il lui faut d’abord acheter la paix sociale. Pour cela rien de tel que de financer allègrement des officines privées dirigées par des gens « issus de l’immigration ». Puis il lui faut recruter sur le terrain. Et c’est à cette occasion que l’on voit apparaître AB, celui qui aujourd’hui est la cible principale de la prétendue affaire de piratage informatique.

Un agent d'ambiance... électorale


AB a grandi dans le quartier de Lafin. Fils de parents d’origine algérienne arrivés en France dans les années 60, il a davantage brillé dans le sport que dans les études. Ce n’est pas un caïd, plutôt un gars sympa, serviable, et qui a réussi à se faire respecter de ses pairs. En 2004 il est recruté par l’équipe de la politique de la Ville pour faire la liaison entre les « indigènes » (l’expression est de lui) et les dirigeants. Il y a urgence car non seulement le quartier est souvent à feu (mais pas encore à sang). Et, surtout, les opérations prévues de destruction de bâtiments et de déplacement de populations risquent de mal passer chez les habitants. AB va remplir son rôle de médiateur ou d’agent d’ambiance à la satisfaction de ses employeurs. En contrepartie, il ne bénéficiera que d’un emploi dit de « solidarité » et il multipliera ainsi les petits contrats aidés pendant 6 ans.

Entre-temps, par sa tachtche, sa connaissance du milieu, sa proximité avec les gens du quartier, jeunes ou vieux, AB a réussi à séduire Dominique Dord qui voit en lui un excellent agent électoral. Cela se vérifiera lors des élections municipales de 2008, puisque le quartier de Lafin, que l’on disait à gauche, votera massivement pour le maire de droite sortant.

Des rapports étranges vont se nouer entre AB et D. Dord. Par démagogie ou par calcul, le maire a accepté que l’autre le tutoie et l’appelle par son prénom. AB dispose même du numéro de portable de Dord, il en use et en abuse, sans que l’élu n’y prenne ombrage. Au point que « l’indigène » se croira bientôt le confident de « Dom’ » avec qui, régulièrement, il va discuter autour d’un pot dans les bistrots de la ville, au vu de tous. Quand un problème est soumis à AB, il n’est pas rare de l’entendre répondre à son interlocuteur « Je vais en parler à Dominique ».

Le temps de la récompense...


Au début du second mandat de Dord, c’est encore un peu l’âge de pierre à la mairie. Si on ne tape plus les textes sur des machines Underwood, l’informatique n’y est encore qu’à ses balbutiements. Le maire recrute un ingénieur informaticien chargé de mettre un peu de novation et d’ordre dans tout cela. C’est aussi le moment où il faut remercier « l’indigène » pour les services rendus. AB se retrouve ainsi embauché officiellement par la mairie. Comme il n’a aucune spécialisation reconnue, il est placé en formation auprès de PN, l’ingénieur informaticien récemment recruté. Selon les informations recueillies auprès de ses anciens collègues, l’arrivée de AB dans l’hôtel de ville, à ce poste, n’est pas accueillie par tous les agents municipaux avec un grand sourire. Son comportement parfois exubérant, son absence de qualification, le fait qu’il ait été recommandé et placé là par Dord, font que AB n’arrive pas en terrain conquis. Tant qu’il est protégé par un chef de service qui l’apprécie et l’encourage, tout se passe bien. Mais bientôt AB va perdre la protection de PN l’ingénieur. D’un entretien impromptu que ce dernier avait accordé avant de partir, il ressort que cet homme discret, outre qu’il n’appréciait que modérément l’ambiance qui régnait dans la mairie, n’était pas parvenu à faire partager sa vision de l’informatisation des services aux élus et autres cadres. Après avoir insisté, en vain, sur les failles et les faiblesses des services informatiques existants et avoir exposé, toujours en vain, les moyens d’y remédier, l’ingénieur quittera Aix les Bains où il n’aura fait qu’un bref passage. L'amateurisme avait encore de belles années devant lui à l'hôtel de ville.

Quand on se moque des Belges, c'est de l'humour...

Ayant perdu son maître et formateur AB se retrouve un peu livré à lui-même. Certains de ses collègues non seulement ne lui facilitent pas la tâche mais lui jouent des tours ou lui tendent parfois quelques pièges. « L’indigène » commence à se sentir mal à l’aise. Sa situation ne s’arrange pas quand il se croit victime de blagues « racistes ». Il pique une véritable crise un jour qu’il interprète très mal une lamentable plaisanterie où il serait question de rapports sexuels oraux et de très jeunes enfants arabes. Plus que de la méchanceté, cette plaisanterie douteuse n’était peut-être que le reflet de la connerie ordinaire teintée d’un racisme tout aussi ordinaire. Quand on se moque des Belges, même de manière outrancière, c’est de l’humour ; quand les Arabes sont la cible d’une mauvaise blague, cela devient du racisme. Des années de « Touche pas à mon pote » et de « SOS Racisme » sont passées par là qui font que les « indigènes » ont le cuir plus sensible à ce genre de vannes que les brocardés d'Outre-Quiévrain par exemple.

Le premier tort de l’encadrement municipal fut sans doute de ne pas avoir pris cette alerte au sérieux quand AB a fait remonter « l’incident raciste » jusqu’à la DRH et même jusqu’au directeur général. Tous, ou bien s’en sont moqués ou bien l’ont ignoré. Pour preuve, dans le long exposé des prétendus faits et gestes commis par AB, la direction des ressources humaines n’a pas fait une seule référence à ces multiples incidents que lui qualifiait de racistes. Le présumé protégé de Dord n’était pas persona grata auprès de ses collègues des services municipaux. Encore moins auprès de sa hiérarchie directe.

Le décor était planté pour la suite...